Le temps d'un changement de
siècle et de millénaire aura été, en France, synonyme de multiples
festivités plus ou moins grandiloquentes. Mais, conçues dans des cadres appropriés,
assurées de présences célébrissimes et
d'officialités, elles ne présentaient pas grands risques ! Bien peu auront demandé un optimisme
autant hors du commun que celui de mobiliser un village de 250 habitants
perdu au fond de la Puisaye, à la pointe nord-ouest de la Bourgogne ;
décider d'y exposer "2000 oeuvres pour l'an 2000", d'artistes
venus de tous les horizons ! Mais il semble que lorsque Sandrine Maurice,
institutrice à Villeneuve-les-Genêts, a une idée en tête, rien ne puisse
l'arrêter ! Le projet défini, le maire aussitôt convaincu, elle est partie
en quête de subventions : Et, comme dans les contes de fées où les gentils
triomphent toujours, les mécènes locaux, les hautes instances
administratives... conquis par ce toupet monstre, par l'évidence utopique
de ce projet et la connotation ludique de la gageure, ont délivré sans se
faire prier -c'est du moins ce
qu'ont dit les discours inauguraux-- le nerf de toute exposition : des sous
pour le Millén'Art !
Et ce village autodidacte en
ébullition a vraiment bien fait les choses, depuis près d'une année :
lancement des invitations auxquelles des artistes ont répondu parfois de
très loin (un groupe de "Parisiens", Cerruti depuis ses Alpes
perdues dans la neige ....) ; annonces sur Internet ; articles dans la
presse locale**, etc. Et comme la chance sourit aux innocents, les
organisateurs ont eu celle de pouvoir présenter une exposition collective
de bonne qualité : car, n'ayant voulu fixer aucun critère de sélection, le
pire était à craindre. Mais, si tous les genres y étaient représentés avec
des bonheurs divers, il n'y eut tout de même pas d'horreurs !
Il y eut même quelques bonnes
surprises. Comme avec les enfants qui étaient venus de plusieurs écoles ou
associations : certes, dans certains cas, le dirigisme évident du
professeur avait donné vie à des séries répétitives ; mais la plupart des
créations appartenaient aux enfants de Villeneuve qui ont, avec humour,
baptisé leur école "l'école des Ouistitis" : leurs dessins,
répartis le long de la rue et sur les cimaises d'un chapiteau, faisaient un
grand éclat de joie et de couleurs multiformes, prouvant avec quel sérieux
ces petits plasticiens en herbe considéraient leur participation au
Millén'Art. Et les sculpteurs étaient aussi au rendez-vous, étalant sur les
étagères du préau leurs oeuvres de terre de la Puisaye : Gargantua/château
tenant massue, le corps couvert de murailles crénelées et de bois
croisillonnés ; géant assis comme n'en pouvant mais, ses énormes pieds
palmés étalés devant lui ; bonhomme aux jambes de sept lieues, au corps
ciselé ; monstre animal tenant entre ses dents ce qui ressemblait fort à un
enfant... D'ailleurs, le nombre de monstres présentés là, prouvait assez
combien ces enfants ruraux (6 à 8 ans) pas trop gâtés apparemment par des
boulimies télévisuelles, possèdent au plus haut point le sens du
merveilleux, l'instinct du fabuleux. Ce qui n'excluait pas, pour certains,
le quotidien sous forme de familles tranquillement assises sur un banc, de
mères tenant dans les bras leur enfant, etc. Remarquable aussi était la
composition intitulée Si tous les gars du monde..., place circulaire
peuplée de minuscules "poupées" en costumes folkloriques, de
l'Ecole maternelle de Saint-Privé...
Devant tant de fraîcheur, les
"grands" avaient fort à faire ! Mais certains, très ludiques,
faisaient le trait d'union entre les deux générations, comme le
mini-orchestre de jazz, sculpté dans le métal, et intitulé Black-ferraille
de Christophe Joannes.
Continuant son parcours, le
public très nombreux à avoir bravé la grisaille météorologique, passait
devant l'espace consacré à Philippe Mottron, peintures abstraites, conçues
en belles couleurs grises et orangées, comme ces couchers de soleil au
moment glorieux où chaque nuance se teinte de rouge brun, chaque bord de
"nuage" se fait porteur de rêverie et de mystère. Dans des tons
très proches, mais antithèse de cette poésie, les oeuvres de Marie-France
Le Thomas, huis-clos arcaturés ou incisions brutales traduisaient un esprit tourmenté.
La plupart des autres oeuvres
étaient figuratives, dans des réalismes plus ou moins recherchés, des
suggestivités plus ou moins abandonnées : Le Musée de Sens avait ainsi
prêté un nombre important de bustes et moulages très académiques.
L'Artothèque du Tremblay allait du canard polychrome de Ghislaine Morel,
battant joyeusement des ailes à l'angle de deux rues, au buste profilé,
anguleux et boudeur de Louis Chabaud, aux terrifiantes bêtes de bronze de
Jean-Louis Vetter... sans oublier les photographies des oeuvres de M'an
Jeanne toujours si tendres et si touchantes ! Et, parlant de photos, il y
avait celles, magnifiques, de Christophe Maret qui emmenaient le visiteur
vers de lointains horizons, le plus remarquable étant cette falaise
accidentée à l'assaut de laquelle partait une bande de jeunes gens tout nus
! Très narratifs, également, étaient les paysages et les têtes peints dans
une facture expressionniste de Muguette Bastide ; l'orchestre très naïf de
Jacques Doué, et les scènes de rue d'Henri Meffre, colorées et bon enfant,
à l'image du "Maurin des Maures" qu'il joua naguère, et dont se
souvenaient à tour de rôle les visiteurs d'un... certain âge ! Et, à la
fois naïfs, de rouge conçus avec un optimisme pictural tout à fait
remarquable, les personnages de Guy Bertholon ; les petites sculptures si tendres de Brigitte Moity, mamans
embrassant leur enfant, petites filles montrant irrévérencieusement
leur postérieur... Venaient ensuite
Nicole Crestou dont les beaux visages enlaidis de coulures malsaines
semblaient idéalement situés, dans la pénombre de l'église, entre autel et
confessionnal ; et Jean-Michel Doix dont les épis faîtiers vernissés
sombres semblables à des totems, montrent la fragile démarcation entre art
et artisanat d'art ; etc.
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